La météo était maussade ce vendredi-là. Je pénètre dans le couloir d’accès aux chambres et mon attention est attirée par un patient me faisant signe de venir à lui. Le service ne me l’avait pas prévu pour mes visites. Je réponds à sa demande.
« J’attends mes résultats médicaux et je suis très inquiet » me dit- il. A la vue de mon badge de bénévole, il me demande en quoi cela consiste. Je lui réponds : « rendre visite, rompre la solitude, écouter et discuter de ce que vous voudrez et aussi longtemps que vous le souhaiterez ».
Il se présente, évoque sa profession de professeur de langue étrangère dans des établissements à l’étranger.
Oubliant ses résultats médicaux et ses inquiétudes, il m’emmène en voyage par la description des pays visités : la Mongolie, l’Inde, l’Arabie Saoudite, la Tunisie, Madagascar…Son sourire et la simplicité de ses mots donnant une atmosphère de détente et d’évasion.
Il me confie son espoir de retour à la maison pour profiter de sa fille à qui il avait promis de partir avec elle en voyage aux Etats-Unis.
Avant de nous quitter, il me déclare avoir apprécié ma présence et mon écoute. Son cœur parle ensuite, car il souhaiterait intégrer notre association pour aider d’autres malades.
Dans les jours qui suivirent, il décéda.
J’ai donné le meilleur de moi-même à ce monsieur qui aura illuminé ma journée. Je garderai un excellent souvenir de lui et un très grand respect.
ERIC
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Ce papa veille précieusement sa jeune fille de 20 ans en train de ‘’partir’’.
Il a guidé ses premiers pas, aujourd’hui il l’a guide vers son ultime voyage.
Nous ne nous connaissons pas, c’est la première fois que je le vois, et pourtant le lien s’établit de suite.
Son épouse est décédée un an auparavant.
Il a demandé un fauteuil pour passer les nuits auprès de sa fille.
Un fauteuil ??? Oui un fauteuil parce qu’il ne s’octroie le droit que de s’assoupir durant la nuit : il ne veut pas rater son départ … l’accompagner dans chaque minute est important pour lui.
Sa fille aimait la musique, alors il lui a ramené une petite radio qui reste branchée non-stop en sourdine. Il a revisité une chanson qu’il a réécrite avec ses mots à lui, à eux, qu’il me fredonne en la regardant : On ira tous au paradis, même toi. ….. Maman t’y attendra et t’ouvrira ses bras, pour toi….. il me confie la lui chanter au creux de son oreille.
Il est en demande, il veut tout savoir pour alléger au mieux son départ. Notre entretien ne durera pas plus d’une heure, il a tout compris et regrette de n’avoir pas eu ces éléments pour l’accompagnement de son épouse.
Cet échange est chaleureux, serein, tout en douceurs et sourires. Il est apaisé, certain qu’elle ‘’pourra partir tranquille’’ et que lui aura toute facilité pour se reconstruire : il a encore une autre fille, bien vivante, et pour qui il doit tout donner !
(Elle est décédée deux jours après cette chaleureuse rencontre)
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Danièle
Accompagnement en EHPAD
Toutes les semaines, je rends visite à un monsieur âgé d’environ 65 ans. A cause de son handicap, il n’a pas eu de vie sociale et amoureuse active. Sa maman, très âgée, réside dans un autre EHPAD et son unique sœur habite dans le sud. Le seul contact avec elle se fait par téléphone.
Je suis touchée par cette solitude dans laquelle il reste des journées entières, alité et devant utiliser le fauteuil roulant pour aller manger.
Le premier jour, nous avons bien ri car il me croyait psychologue. J’avais toutefois quelques problèmes à le comprendre en raison de difficultés d’élocution.
Je suis sa seule visite de la semaine. Il me dit sa joie de me recevoir, et comment !
Chaque semaine, il m’énumère les difficultés qui ont jalonné sa vie à cause de ses handicaps, ses 9 années de travail, ses voyages.
Je tente de lui mettre un peu de baume au cœur en apportant ma petite touche d’humour. Il esquisse un joli sourire, je le sens soulagé.
Je pense qu’il apprécie ma présence. C’est dans ces moments là que je comprends tout le sens de mon bénévolat et le bénéfice que reçoit le résident en EHPAD. Ici et ailleurs, tant d’autres résidents attendent ce genre de bénévolat. Si seulement nous étions plus nombreux !!
Katia, bénévole d’accompagnement
Juste un regard, un silence, dans l’intensité intemporelle.
Michel a 72 ans, mais le corps est à bout de souffle.
Il a les yeux grands ouverts, et me fixe de ce bleu intense, dans lequel je plonge droit dedans.
Il parle, il exprime, mais aucun son ne sort de sa bouche. Sa main essaie fébrilement de serrer la mienne, et il me fait cadeau de ce que j’interprète comme étant l’esquisse d’un sourire.
Tout est dans l’intensité de son regard, dans la profondeur du silence, et dans l’instant présent, ……nous ne faisons qu’un, plus rien d’autre n’existe.
Être le récipiendaire du moment présent, tout simplement.
“Lorsqu’il n’y a plus de mots, ne cherche ni à parler, ni à penser à autre chose. Le silence a sa propre éloquence. Parfois, plus précieuse que les paroles.” Elisabeth Kübler-Ross
Danièle
Je pénètre discrètement dans la chambre 519. La vitre laisse entrer le soleil d’automne qui darde ses rayons généreux, conférant à la pièce une sorte de sérénité.
Reposant dans son lit, Jocelyne (prénom d’emprunt) tourne sa tête vers moi. Mon attention se porte tout de suite sur son visage : il est crispé, tendu, il esquisse une grimace de douleur, de souffrance. Ses deux mains vont et viennent sur son ventre où sévit son cancer. Ses yeux sont à la fois suppliants et remplis de colère, de révolte.
Moi également, j’entre dans une souffrance : je suis là pour aider cette personne, mais ce regard signifie-t-il qu’elle acceptera cette aide ou qu’elle me demandera de partir ? Je crains de rester sur ma faim.
Je me présente, disant que je suis un bénévole accompagnant qui rend visite chaque semaine aux malades, que je leur accorde du temps pour écouter et partager leur souffrance, leur solitude devant la maladie.
A ces mots, la patiente me répond : « Comme c’est gentil ! Vous ne pouvez pas vous imaginer comme c’est violent de toujours parler de ma maladie, de mes traitements ! Tout cela pour mourir !! »
Je comprends que notre conversation ne doit pas trop s’attarder sur sa maladie-elle en souffre déjà assez- j’évoque alors le dévouement de l’équipe médicale, l’intérêt des traitements qui lui apportent un certain confort en diminuant l’intensité des douleurs. Cela semble apaiser quelque peu les traits de son visage.
Tout à coup, il me vient l’idée de lui demander quelles ont été ses loisirs préférés. Sans la moindre hésitation, elle me répond : « la peinture »
La spontanéité de sa réponse se révéla être un changement de cap, une reprise en main de la situation où elle passa d’une situation passive à une situation d’actrice. Elle me présente des photos de paysages et portraits qu’elle a peints. Elle m’explique la complexité des techniques, nous parlons de coquelicots et d’hortensias…
Jocelyne évoque alors le rouge qu’elle adore, car « il symbolise la vie, le sang qui circule dans les veines et fait vivre l’être humain. Notre conversation durera une heure entière.
Au fur et à mesure de cet échange passionnant, son visage retrouva une physionomie douce, détendue, apaisée. Elle me déclara : « Lors d’une exposition , je vous inviterai au vernissage. Merci de votre visite, cela m’a fait beaucoup de bien »
Mon /nôtre rôle de bénévole accompagnant est d’être avant tout une tierce personne au côté de la famille et du patient. La famille est dans la souffrance, elle la subit avec le malade et peut difficilement ouvrir d’autres portes de discussion que celle de l’état de santé.
Oui, le mot « accompagnement » revêt, en la circonstance, toute sa signification.
Michel – Octobre 2019
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Et puis il y a aussi des ’’miracles’’
cette jeune patiente est en train de ’’partir’’ …. avec sa maman qui se love au creux de son cou, tout comme elle devait le faire dans un passé pas si lointain que çà, nous faisons l’accompagnement que l’on suppose être ’’final’’ . Je le ressens très fortement ce passé qui rejaillit à la surface, laissant planer des bonheurs qui s’effritent maintenant en lambeaux.
fin de journée, j’ai passé une bonne partie de l’après-midi à leurs côtés, je les laisse dans cette intimité qui désormais n’appartient plus qu’à elles, non sans cette amertume qui furtivement effleure ma pensée : toute la violence qui doit déchirer les tripes d’une maman, qui là, face à ce destin implacable, lui enlève ” la chère de sa chair”.
Le lendemain un après-midi récréatif est prévu ….. et quelle n’est pas ma surprise de la retrouver, assise dans son fauteuil roulant ….. c’est çà le mystère de la vie…. ultime sursis pour partager une dernière fois un moment de la vie de tous les jours……
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Danièle
J’arrive dans le service et comme d’habitude je consulte le tableau où sont inscrits les noms des patients.
Aussitôt la psychologue se dirige vers moi, m’embrasse et me demande d’aller voir en priorité une malade arrivée depuis peu, très difficile, mais demandeuse de présence et la psychologue me précise que cette malade apprécie le toucher.
Je rentre discrètement dans la chambre.
La malade a les yeux clos mais sent ma présence. Je m’assis près d’elle et lui prends la main. Et là, elle me gratifie d’un merveilleux sourire.
“Je n’ai pas envie de parler” me dit-elle, “mais surtout ne partez pas” !
Je lui explique alors qu’on n’est pas obligé de communiquer par la parole, mais qu’il y a aussi le regard, le toucher et la présence.
Nous restons main dans la main un long moment ponctué de sourires.
Puis elle se met à parler beaucoup : de sa maladie, de sa révolte et un peu de sa famille qui la déçoit.
Et brusquement elle me dit : “ça suffit pour aujourd’hui” et me donne congé.
Je lui dis au revoir et c’est elle qui me dit “à la semaine prochaine”.
Ce fut un moment merveilleux !
Voilà, c’est tout cela être bénévole : présence, écoute, regard, toucher et parfois parole, souvent même, mais pas toujours.
Compréhension, admiration devant le courage des malades et humilité car nous ne sommes qu’un petit maillon d’une chaîne entièrement dévouée au confort et au bien-être (au sens très large) du malade.
Elisabeth
Nous l’évoquerons sous l’image d’un papillon violet : Ƹ̴Ӂ̴Ʒ
parce que c’était sa couleur : de ses chouchou de cheveux, maquillage, sous-vêtements, habits, bijoux, jusqu’au bout des ongles de pieds… tout s’inscrivait dans le violet.
C’est dans le couloir qu’une infirmière me voyant habillée de cette couleur, m’apostrophe pour m’informer qu’une patiente va particulièrement apprécier et que ce serait bien d’aller la voir.
Colette l’avait rencontrée quelques jours auparavant, alors qu’inquiète pour ses proches, de son lit elle gère avec un beau sourire : l’intendance du domicile, le lycée du fiston…
On lui avait annoncé le diagnostic, mais Ƹ̴Ӂ̴Ʒ n’était alors, pas encore “identifiée soins palliatifs”.
Le contact, plus que chaleureux, s’est fait de suite ; une certaine complicité s’était établie, dans une symphonie pour chiffons et accessoires violine… ça pétillait dans ses yeux.
Elle me parle aussi de son stress, de ses angoisses, lesquels conjugués ont déclenché une crise qui a annulé sa sortie prévue.
Nous avons longuement évoqué la possibilité d’apprendre à lâcher-prise dans la respiration, l’évasion du mental. Elle est attentive, convaincue que ça pourrait l’aider à gérer.
L’intervention d’Isabelle, notre socio-esthéticienne va interrompre ce chaleureux échange.
Je cède ma place avec grand plaisir, car elle va pouvoir se détendre et se faire bichonner, et en plus : elle adore ça !
Colette la retrouve début de semaine suivante. Cette fois Ƹ̴Ӂ̴Ʒ est assez déprimée et pleure beaucoup. Son fils de 15 ans est auprès d’elle. C’est lui qui a demandé à avoir un lit pour passer la nuit auprès de sa maman. Tendrement, il la caresse, l’embrasse. L’amour, la complicité offrent un tendre tableau. Alors que Colette s’apprête à quitter la chambre après de longs échanges, tout en promettant de repasser avant de quitter la clinique, son fils insiste pour qu’elle n’oublie pas.
Fin de semaine :
Cette fois, j’ai eu l’occasion de discuter longuement avec sa soeur dont elle est très proche. C’est elle qui a pris le relais auprès de sa soeur, et y passe les nuits. Sa tête et son coeur bouillonnent dans tous les sens, elle ne sait plus gérer. Elle est dans l’émotionnel mais aussi la colère, l’agressivité et le jugement de son entourage proche, elle pleure nerveusement, se lâche. Elle est agitée, énervée et repose encore et toujours les mêmes questions. Elle ne peut “ni voir, ni entendre” ce qui lui est renvoyé. Elle est aussi en grande souffrance d’avoir à envisager la séparation, et n’accepte pas.
Le médecin du service lui a vivement conseillé de rentrer chez elle pour se reprendre une bouffée d’oxygène : elle a aussi besoin de penser à elle, et si d’un côté elle approuve, elle redoute aussi “que cela puisse se passer en son absence”. Je lui propose de prendre momentanément le relais.
Ƹ̴Ӂ̴Ʒ me parle du plaisir qu’elle a pu éprouver lorsque son fils de 15 ans a demandé de passer deux nuits auprès d’elle. L’aîné quant à lui préfère la revoir au plus vite à la maison. Heureuse également des images et prières pieuses que lui a procuré Colette à sa demande, et qu’elle a installées précieusement auprès de Sainte Rita qu’elle affectionne tout particulièrement. Après le partage d’un cappuccino crémeux, je la laisse se reposer un peu.
Samedi 18 juin :
Je suis venue tout exprès pour lui apporter une composition florale avec une orchidée violette. Le plus naturellement du monde, elle m’a demandé de lui en trouver une artificielle pour “la garder plus longtemps après”.
Le lundi qui suit, comme promis, je passe la voir. Je ne sais pas encore que ce sera la dernière, alors que je la trouve souriante et “en pleine forme”.
Elle est décédée le lendemain, le mardi 21 en soirée, paisiblement endormie et entourée des siens.
Son état s’est dégradé en vitesse accélérée. Je ne l’ai su que le vendredi en arrivant dans le service.
Colette témoigne également : “une infirmière m’a raconté que, quelques instants avant de rendre son dernier soupir,
son jeune fils lui répétant sans cesse : Maman je t’aime, est sortie de son coma pour lui dire : Moi aussi, je t’adore.
Aussitôt après, elle est retombée dans le coma et elle est morte sereinement.
Cet immense amour entre la maman et son fils de 15 ans, ils m’ont permis de le partager avec eux, d’en être le témoin privilégié en tant que bénévole. C’est un merveilleux cadeau. Je garde en moi le souvenir de son beau sourire.
Danièle
- Printemps 2011 – M.P. – 75 ans
M.P a 75 ans, d’origine italienne, est flanquée d’un sacré tempérament.
Elle “sait” et voudrait que “ça arrive maintenant au plus vite” car elle ne comprend pas la nécessité de rester, alors qu’on sait qu’il n’y a plus rien à faire.
Elle est dans la rébellion : son mari est décédé il y a tout juste un an et elle lui en veut d’être “parti tranquillement, (il a la belle vie lui là maintenant me précise-t’elle) et de l’avoir laissée ainsi ici-bas !”.
Elle me confie “Ah mais je l’engueule hein, chaque jour, oui je l’engueule, parce que depuis que je suis ici à la clinique, je le vois tous les jours au pied de mon lit, avec un sourire béat, alors je l’engueule en lui disant (elle me mime avec son bel accent chantant) mais bon dieu, au lieu de rire bêtement, viens donc me chercher !” et elle éclate de rire.
Nous parlons de la mort, de “sa” mort. Je lui demande si vraiment au fond d’elle même, elle a envie de le rejoindre. Et tout aussi calmement, avec sa malice au coin des lèvres, elle éclate de rire, en me disant “Eh bé oui tiens !”.
Et puis elle me confie qu’elle voit aussi son père : “normal, j’étais sa chouchoute” précise-t’elle ! “il est un peu plus en retrait, regarde, mais ne dit rien ! et puis aussi maman, mais alors c’est diffus, je n’arriverai pas à expliquer” dit-elle ; et de me préciser aussi avec force de détails tout ce qu’elle a pu lui en faire voir étant gamine, sachant qu’elle avait le soutien indéfaillible de son père.
Nous rions comme deux collégiennes complices d’un bon tour. Elle est vraiment contente de pouvoir aborder ce sujet sans tabou, elle est écoutée et entendue.
“Je ne pourrai jamais dire cela à mes proches, ils me tiendraient pour folle” et elle éclate de rire.
Et quand un membre de la famille arrive pour lui rendre visite, et alors que je prends congé, elle me gratifie d’un merveilleux clin d’oeil complice.
Je la revois la semaine d’après, et comme on est en train de lui faire un soin, je propose de repasser plus tard et elle précise “oui, qu’on rigole un coup comme la dernière fois !”. Et effectivement, on repart dans les mêmes délires, en rigolant selon le terme “comme des baleines”.
Il était prévu qu’elle sorte en début de semaine, et m’avait fait promettre d’aller lui rendre visite à domicile afin de me présenter son bel Antonio comme elle se plaisaiit à le dire. Et, effectivement, elle est sortie le mardi… pour revenir le jeudi !
Cette fois, quand j’entre dans la chambre, sa fille est à ses côtés. Son état s’est nettement dégradé et tout est en train de se jouer dans les prémices du grand voyage. J’ai pu parler longuement avec sa fille, lui expliquer que c’était son souhait, et sa sérénité vis à vis de la mort dont elle m’avait largement fait part.
Avant de quitter la clinique, je passe lui dire au revoir, et là : ultime cadeau, elle ouvre les yeux et me gratifie d’un magnifique sourire. Elle esquisse quelques mots que je ne peux comprendre. Je m’approche d’elle, et au creux de son oreille, je lui murmure des mots bienveillants et lui dis qu’elle peut maintenant partir en toute sérénité. L’émotion est intense et palpable.
Elle a rendu son dernier soupir quelques heures plus tard et c’est aujourd’hui avec un grand sourire que j’évoque son souvenir.
Danièle
- Février 2011 – Véronique – 40 ans
Elle s’appelait Véronique et avait tout juste 40 ans.
La première fois que je l’ai rencontrée, elle était entrée deux jours plus tôt et n’était pas encore en fin de vie.
Le personnel soignant, bien à l’écoute de l’attente des patients, avait toutefois souhaité que je lui rende visite car Véronique était très en demande de contacts.
L’accueil fut très chaleureux et le contact s’est fait tout naturellement.
A ce moment là, elle ne savait pas encore ce qu’elle avait, et pourquoi son dos la faisant tant souffrir. Mais l’équipe médicale, elle, savait !
Nous avons papoté comme de vieilles connaissances et avons également bien ri, alors qu’elle avait plaisir à me raconter les bêtises de ses enfants.
Nous nous sommes aussi attendries alors qu’elle évoquait, avec beaucoup de tendresse, l’amour qu’elle partageait avec son mari.
Elle aspirait à une chose : rentrer chez elle le plus vite possible pour y fêter ses 40 ans le 1er novembre, entourée de tous les siens, car elle était très attachée à sa famille.
Alors que je lui rends visite pour la seconde fois la semaine d’après, elle est cette fois considérée en fin de vie et le médecin en a informé la famille.
Je la retrouve profondément endormie, lovée dans son “coussin de grossesse”. Sa soeur est à ses côtés : jamais seule, il y a toujours un membre de la famille près d’elle.
Avec sa soeur, j’ai beaucoup échangé durant un long moment, toutefois ponctué de nombreux silences.
La troisième et dernière fois que je rencontre Véronique, elle a été changée de chambre.
Le personnel soignant, chaleureux et compatissant, tenait tout particulièrement à ce qu’elle puisse bénéficier d’un espace digne de ce nom pour fêter ses 40 ans, entourée de tous les siens, famille et amis.
Nous sommes le 2 novembre, sa fille aînée était là avec son compagnon.
Véronique parlait avec difficulté car elle avait un champignon dans l’oesophage. Mais ses yeux étaient remplis de bonheur pour me compter comment s’était déroulée “SA” fête.
Que de témoignages d’amour dans cette chambre !
Les murs étaient tapissés de dessins et de doux messages. Puis les cadeaux, fleurs, poupées de porcelaine pour sa collection.
Son gendre m’a montré, non sans fierté, un bel album avec les photos de tous les membres de cette belle et grande famille, si unie autour de Véronique, avec là encore des messages, des poésies… pleins de tendresse. Toute sa vie était résumée là, dans cet album.
J’ai pu découvrir que tous, personnel soignant y compris, avaient tenu à rendre ce moment exceptionnel et magique malgré le lieu, tous unis dans une émouvante complicité.
Et tout y était : musique (que Véronique avait d’ailleurs entendu arriver de loin), l’entrée joyeuse de l’équipe soignante avec boisson à bulles et biscuits. Et tout le monde a trinqué en riant et chantant en son honneur. Véronique était la reine du jour.
En mettant ces mots sur papier, je la revois très bien, toujours lovée dans ce coussin vert qu’elle ne quittait jamais, et recevant avec son beau sourire toutes ces marques d’affection. Elle rayonnait, elle était aux anges.
J’ai alors pu mesurer toute l’importance des soins palliatifs.
Véronique a pu vivre une dernière fois, mais de façon très intense cet anniversaire qu’elle attendait avec impatience, entourée de tous ceux chers à son coeur.
Tout avait été mis en oeuvre pour que la souffrance de ce corps meurtri ne la tourmente point.
Jusqu’à son dernier souffle, elle s’est sentie aimée, respectée. En un mot : le pouvoir d’encore exister.
Quant aux siens, ils ont pu l’accompagner jusqu’au dernier instant, et lui dire au-revoir dans un climat serein.
Un détail aussi qui me revient à l’esprit : une bonne odeur de frites qui traîne dans le couloir… laissée par un cornet que lui apportait affectueusement son gendre, et ce sentiment d’apaisemnt que cela me laisse de savoir qu’elle a pu profiter pleinement de cet instant magique.
Cet accompagnement a été emprunt de tellement d’émotion qu’il est vrai que nous ne sommes pas prêts de l’oublier.
Colette, Danièle & Martine
- Février 2009 – Fleur – 30 ans – Tumeur au cerveau
Je l’appellerai Fleur, d’une part pour respecter l’anonymat de la famille, mais aussi Fleur parce qu’elle en est encore au Printemps de sa vie, mais que demain elle peut se faner d’un coup, d’une minute à l’autre, sous le couperet intraitable de celle que l’on surnomme “la grande faucheuse”.
Fleur a 30 ans, et un charmant petit garçon dont elle aimerait plus souvent être câlinée. Mais il est encore jeune, et ne comprend pas qu’il n’a pas une maman comme les autres, le visage meurtri et déformé par la maladie qui suinte de tous ses pores.
Alors, au-delà de sa souffrance physique, Fleur souffre dans sa chair, dans son cœur de maman.
Ce cœur tout rose qu’elle a reçu en cadeau, moelleux, tout doux au toucher, et qu’elle serre tout contre elle pour s’endormir.
Fleur qui n’en finit pas de se gratter cet oeil gros comme un oeuf, et qui ne sait plus s’ouvrir. Le deuxième prend d’ailleurs le même chemin, et elle est obligée de soulever sa paupière pour essayer d’entrevoir une ombre, un contour déformé.
Une photo de ses 20 ans nous rappelle que c’était une jolie fille : c’était avant la maladie nous dit-elle… mais elle n’en dira pas plus, elle n’évoque jamais la maladie.
Son traitement la fait dormir, dormir encore et encore.
Nous sommes 3 bénévoles à nous relayer à son chevet.
Personnellement, lorsque je la vois ainsi dormir profondément, je lui prends la main et lui « parle en silence » toujours avec un grand sourire, comme si je m’adressais à celle qu’elle était, et qui rayonnait de son si tendre sourire.
Et j’aimerai la laisser ainsi dormir, m’octroyant le droit de penser « pendant ce temps là, elle ne souffre pas » !
Et en même temps, je sais qu’elle affectionne tout particulièrement notre présence. Le personnel soignant nous confirme d’ailleurs que depuis nos visites, elle est beaucoup plus calme, moins agressive, et dort mieux la nuit.
Dès qu’elle a conscience d’une présence, elle s’y accroche de ses deux mains, et cherche les nôtres pour se les accaparer : rester ainsi, ne plus bouger, le temps s’arrête… mais tu peux parler ! dit-elle d’un ton assuré… parce qu’elle a aussi besoin « d’entendre » la présence.
Elle est très en demande de ce toucher/affectif, et c’est là qu’une fois encore, je donne toute la puissance de la dimension relationnelle dans le toucher au travers de la formation que j’ai reçue, et qui a mes yeux, est très importante.
Un relationnel qui peut aussi se faire dans le silence, et ou dans l’intimité d’une pensée : tout peut être dit.
Danièle, Hélène et Marie-Anne